Artistes confinés #9 // Laurie van Melle, plasticienne
03/05/2020
Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !
Laurie van Melle est diplômée des Beaux-Arts de Paris depuis 2019, elle vit et travaille à Paris. Les œuvres de Laurie se situent au croisement de l’univers domestique et de l’abstraction. Si les objets familiers sont toujours le point de départ de son travail, ses motifs sont systématiquement condensés en des représentations schématiques minimum, avant d’être transposés en peinture ou en volume. En résultent des œuvres aux formes nettes et géométriques, où cohabitent vocabulaire abstrait et présence figurative. Son travail en lien avec l’espace intime résonne fortement avec la situation actuelle qui nous contraint à rester enfermés chez nous.
Actuellement en résidence à la Cité internationale des Arts, Laurie est représentée par la Galerie Laure Roynette, Paris
Dans quels états émotionnels te plonge le confinement ?
Je suis quelqu’un de plutôt solitaire, donc je vis très bien cet isolement forcé. J’ai l’impression d’avoir enfin une bonne excuse pour rester chez moi ! Plus sérieusement, il y a un contraste assez saisissant entre ce sentiment de sérénité, circoncis aux murs de mon appartement, et la conscience que le monde extérieur est en train de faire face à des enjeux sanitaires, sociaux et économiques majeurs. Je me sens privilégiée, comme dans un lit douillet au milieu de l’orage.
Ces émotions sont-elles favorables à ta créativité ou au contraire t’inhibent-elles ?
Comme beaucoup d’artistes, j’ai tendance à me mettre la pression pour créer, surtout dans les périodes creuses : on a l’impression que ce n’est jamais assez bien, qu’on ne travaille jamais assez, qu’on est jamais assez productif. Pour moi, ce contexte très spécifique du confinement, qui met l’ensemble du monde de l’art en pause, crée une sorte de répit. Je le vois comme du « temps gratuit » pendant lequel je peux sortir de cette course avec moi-même et repenser ma manière de travailler.
L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ?
J’ai la chance d’être actuellement en résidence à la Cité des Arts à Paris, où je bénéficie d’un atelier-logement, ce qui me permet de travailler dans de bonnes conditions sans devoir me déplacer.
Je ne suis ni plus ni moins prolifique que d’habitude, mais je travaille très différemment. Habituellement, je fonctionne presque comme un designer : ma pratique est très ordonnée, avec des étapes précises – conception du projet, dessins et croquis, réalisation. En ce moment, faute d’avoir accès aux ateliers de production nécessaires à l’étape de réalisation, je prends le temps d’explorer, de faire des essais, de dessiner librement, abandonnant peu à peu cette injonction que tout ce que je produis doit faire œuvre.
Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mises en place dans ton activité artistique ?
J’ai pris une habitude que je voulais prendre depuis longtemps, celle de poster des images de mon travail sur les réseaux sociaux. C’est une part importante de la communication pour les artistes plasticiens, surtout en ces temps de fermeture des galeries et des musées ! J’ai également réalisé une courte vidéo dans laquelle je parle de mon travail (NDLR : la vidéo est à lire à la fin de l’article), un exercice difficile, car le format oblige à s’en tenir à l’essentiel. Cela m’a permis de faire le point, de me recentrer, et de faire des connexions entre différentes idées et différents projets qui ne m’étaient pas apparues avant. C’est toujours réjouissant de découvrir de nouvelles facettes de son propre travail.
Le contexte sanitaire et la situation de confinement t’inspirent-ils, influencent-ils déjà ta production artistique ?
Ressens-tu le besoin ou l’envie de t’exprimer à travers ton art sur l’épidémie et la situation ?
Je ne ressens pas le besoin de m’exprimer particulièrement sur ce sujet, car mon travail tend vers l’abstrait, il tente justement de s’extraire du spécifique pour aller vers l’universalité, pour ne garder que les caractéristiques essentielles des choses. En revanche, comme je m’inspire souvent de l’univers domestique, c’est intéressant de soudainement voir beaucoup d’images des espaces dans lesquels les gens vivent. C’est amusant de constater qu’on peut établir un « pack de base » universel, avec quelques objets que l’on retrouve dans l’intimité de tout le monde ; et notamment le lit, qui est un objet qui m’intrigue beaucoup.
Juste avant le confinement, j’ai produit Boxes, un ensemble de trois socles dont les vitrines en plexiglas enferment des couettes, oreillers et vêtements, le tout entièrement blanc excepté quelques motifs peints. Avec cette œuvre, je cherchais à extraire l’idée même d’intimité, au-delà des intimités particulières. En la regardant aujourd’hui, elle prend une dimension nouvelle : ces éléments m’apparaissent comme coincés, compressés entre les parois de plexiglas, et cela m’évoque le sentiment d’étouffement que ressentent beaucoup de gens à être enfermés dans leur espace intime. Je suis à deux doigts de renommer cette installation Confinement !
Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?
La situation financière des artistes est toujours un peu précaire, cela fait partie de notre quotidien d’être préoccupés par cette question. J’ai la chance d’avoir réalisé une exposition dans ma galerie – Laure Roynette, Paris – juste avant le début du confinement, dont les ventes me permettent de tenir pendant ces quelques mois. Il est certain que milieu de l’art va être particulièrement affecté par cette crise, mais nous avons la chance en France de bénéficier de nombreux programmes d’aide, de résidences, de bourses et de prix publics et privés, qui je l’espère permettront de pallier en partie la baisse des ventes d’œuvres aux particuliers.
Propos recueillis par Céline
Avec l’aimable collaboration de Yves Mirande, @yvesmirande
Pour suivre le travail de Laurie van Melle : https://www.laurievanmelle.com/
Instagram : @laurievanmelle
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