Danse // Andréya Ouemba

Du 10 au 13 octobre au Théâtre de la ville (Paris 18e), le chorégraphe et danseur congolais Andreya Ouamba est de retour au théâtre avec sa dernière création « De quoi sommes-nous faits ?! », une pièce qui parle de la famille, la société et la politique. Revue Bancal est allée à sa rencontre pour le questionner sur son rapport à la danse et à la création.

Comment es-tu arrivé à la danse ?

Par le hip hop, en suivant les pas de mon frère qui dansait dans un groupe. Aujourd’hui quand on parle de hip hop, on parle de danse, à l’époque, c’est seulement celui qui chantait qui faisait du hip hop. C’était la grande différence qu’il y avait dans le paysage de la danse, un paysage complètement divisé avec d’un côté les danseurs traditionnels, folkloriques et de l’autre ceux qui faisaient du break dance, du jazz, du hip hop.

 

Parce aujourd’hui la frontière n’est plus la même ?

Dans les années 92-93 au Congo, les premiers danseurs hip hop ont commencé à investir l’espace traditionnel. Et c’est dans ces mêmes années que le mélange a commencé.

 

Pourquoi ce mélange culturel est-il advenu, comment l’expliques-tu ?

Pour moi c’est d’abord venu de l’extérieur, avec les premiers jeux de la francophonie au Maroc. À cette époque-là, à Brazaville, le 8 février, accueillait des groupes de danse et musique folkloriques qui tournaient beaucoup, ils allaient en Corée, en Chine, un peu partout. Et lorsque que les gens du ministère de la culture sont venus dans ce lieu à la recherche d’un groupe susceptible de représenter le Congo aux jeux de la francophonie, ils sont tombés sur le seul groupe qui n’était pas en tournée. C’était  Métropolis, le groupe de Chrysogone, mon frère et d’autres amis, ils avaient l’habitude de se retrouver là-bas pour inventer des chorégraphies sur les musiques hip hop du moment. Le ministère de la culture leur a dit : « vous pouvez faire les mêmes danses mais pour la musique on va prendre deux, trois batteurs, ils vont jouer le tam-tam, et à la place de vos jeans et blousons, vous allez mettre des raphias et des pagnes. » C’est comme cela qu’ils se sont retrouvés au Maroc pour représenter le Congo, ils sont revenus avec une médaille de bronze !

Au fond, le groupe a vite compris que s’il avait pu voyager et découvrir le monde, c’était grâce la danse traditionnelle, ce n’est pas l’univers du hip hop qui aurait permis cela.

A son retour du Maroc, Chrysogone  a créé le ballet Monana (qui signifie se rencontrer, se voir) que j’ai rejoint. C’était un des premiers ballets dans lesquels les danseurs n’avaient aucune expérience de la danse traditionnelle. On était là, on apprenait. On puisait notre force pas tant dans l’individualité des danseurs mais dans la construction de nos spectacles. On dépensait énormément d’argent pour les costumes, les décors. Et on était reconnu pour faire de bons spectacles mais nous restions des danseurs venus du hip hop et du coup nous n’étions pas très bons en danse traditionnelle. Et c’est ce qui va déclencher le décalage et le mélange des danses traditionnelles et hip hop. C’est parce qu’on ne maîtrisait pas la danse traditionnelle que l’on mélangeait les gestes. Et plus tard on va nous parler de danse contemporaine, en fait on y était déjà.

 

Et aujourd’hui, que t’apporte la danse traditionnelle dans tes créations ?

Elle est présente mais comme beaucoup d’autre chose, l’univers filmographique par exemple que je convoque souvent. Globalement ça m’a permis de connaître mieux la tradition congolaise.

 

Tu as donc conservé cette notion de métissage dans tes créations ?

Oui, j’aime bien faire des mélanges, des collages, cela me permet de dire plus que ce que le seul corps peut, c’est pour ça que j’ajoute du texte dans mes créations. Car si le corps peut aller à l’endroit de l’abstrait, la parole est un autre engagement, elle permet, dans nos sociétés de la parole et non de gestuelles de dire ce que le corps ne peut dire.

 

Danser c’est signifier pour toi ?

La danse et le théâtre m’ont permis de connaître le monde, d’essayer de comprendre ce qui se passe dans le monde. Je suis allé à l’école pour apprendre à lire et à écrire. Mais c’est au théâtre et à la danse que j’ai appris à lire entre les lignes. Avoir un distinguo entre les choses et ce qui se passe.

 

C’est une école de vie ?

Oui tout part de là. La danse et le théâtre m’ont donné envie de lire pour mieux comprendre les choses. Et après il y a eu les ajouts, j’ai commencé à lire Isadora Duncan, Martha Gram, etc. Je n’ai pas un cursus scolaire étalé cependant le monde dans lequel j’ai évolué m’a permis de comprendre ces choses. Et ce n’est pas rien, et c’est ce qui me donne envie encore aujourd’hui. Je fais partie de ces gens qui n’ont jamais été à l’école mais qui ne sont pas perdus. Je ne suis pas formaté du coup, j’ai appris à apprendre en faisant. Ce que je fais avec les danseurs ? Je les mets en situation et ce sont les situations qui vont générer le mouvement.

 

C’est aussi un lieu pour le débat politique ?

Ce n’est pas la danse qui me permet de parler de la politique. En revanche, j’utilise la danse pour toucher les questions politiques mais dans tous ses états.

 

C’est-à-dire ?

De quoi nous sommes faits est une pièce qui parle de la famille, de la société et du politique. Politique dans le sens le plus large. J’ai voulu faire une pièce qui questionne le succès et la réussite. Et ce sont des sujets éminemment politiques. De la même façon parler de Dieu, c’est politique. Les représentations de la nation sont les mêmes que celles que l’on retrouve dans les églises.

 

Propos recueillis par Marie

 

 

 

 


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Marie Bationo - Auteur

Marie est éditrice et co-fondatrice de la revue Bancal.

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