Le Cercle des utopistes anonymes
10/04/2015
Simple, c'est bien. Au Grand Parquet, "Le cercle des utopistes anonymes" d'Eugène Durif et Jean-Louis Hourdin revendique un théâtre apparemment pauvre. Un véritable acte de foi dans l'être humain, jubilatoire dans ses fulgurances comme dans ses maladresses.
Simple, c’est bien. Au Grand Parquet, « Le cercle des utopistes anonymes » d’Eugène Durif et Jean-Louis Hourdin revendique un théâtre apparemment pauvre. Un véritable acte de foi dans l’être humain, jubilatoire dans ses fulgurances comme dans ses maladresses.
Si vous voulez emmener des gens qui n’ont pas l’habitude du théâtre voir un spectacle accessible, profond, complexe, politique et joyeux, c’est l’occasion rêvée.
Trois acteurs, quelques bouts de bois, de vieux rideaux rouges et quelques projecteurs. Un synthétiseur, la vielle à roue, la robe à paillettes Emmaüs. Des acteurs pas parfaits, souvent maladroits. Ici tout semble un peu raté, vieux, d’un autre temps, démodé. Et pauvre, presque miséreux. Bref, tout ce qui devrait repousser.
Et c’est exactement l’inverse qui se produit.
Les magnifiques textes d’Eugène Durif mettent en scène trois êtres humains en route vers l’utopie, c’est-à-dire nulle part. Du trivial au savant, du foireux aux fulgurances littéraires, de la vie concrète la plus rurale aux élans lyriques, tous trois naviguent avec souplesse et malice, en compagnons de route, dans un questionnement profond : peut-on, et a-t-on raison de rêver?
Comme un cercle de parole pour idéalistes en mal de vivre, ils discutent. Assiste-t-on à la mort des grands idéaux?
Il fallait oser. C’était un pari gonflé de s’ancrer dans nos maladresses et nos imperfections pour parler de l’utopie, et de prendre ce qui n’a pas changé depuis la nuit des temps pour parler des envies de changer le monde. Et ça marche. Et c’est superbe, pathétique, réjouissant, humain. Nos rêves, nos aspirations, nos ratages, notre inachevé, on retrouve ce qui serait l’essence même du théâtre – ou plutôt de l’être humain : le paradoxe entre notre fragilité et nos grandes aspirations.
Au fil du spectacle une grâce se dévoile, avec finesse et humour. Ce qui est là, sous nos yeux, à portée de main, apparaît comme quelque chose d’infiniment précieux – jusque dans ses imperfections mêmes. Une épaisseur d’humanité. Mieux, ce serait moins bien. On se réjouit de voir Eugène Durif oublier ses propres textes et reprendre ses fiches avec un naturel déconcertant, de voir Stéphanie Marc frôler le bide en permanence avec une grâce ahurissante, de voir Pierre-Jules Billon enchaîner des pauvres chansons. L’essence même du théâtre, et surtout, de l’être humain.
« Avant je parlais pour changer le monde, maintenant je parle pour que surtout il ne change pas. »
Oui, surtout, ne changez rien.
Une claque revigorante au milieu des sophistications, des marbres et de l’orgueil parisiens.
C’est du grand théâtre.
Merci à Eugène Durif et Jean-Louis Hourdin d’avoir rendu ce miracle ordinaire possible.
Mathieu Huot, membre du collectif Open Source.
Le cercle des utopistes anonymes, jusqu’au 3 mai au Grand Parquet, texte d’Eugène Durif, mise en scène de Jean-Louis Hourdin
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