Les jardins statuaires

« Je vis de grands champs d’hiver, couverts d’oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l’infini d’indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit. »

« Je vis de grands champs d’hiver, couverts d’oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l’infini d’indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit. »

jardins-statuairesOnirique, métaphorique, symbolique… difficile de ramasser en quelques mots le style de Jacques Abeille. Cet homme vit loin, sur des chemins retirés, au pays du rare et de la littérature. Artisan sculpteur, il marche à rebours de notre temps, loin des esprits frelatés, des rêves morts et du narcissisme ambiant, à l’opposé de ce grand chahut immobile et tragique. Cet artiste oublié sort à peine aujourd’hui de cette ombre douce qui l’a protégé des années durant dans sa province bordelaise. Jacques Abeille, enseignant, peintre et auteur, a forgé en secret un monde peuplé de rêves étranges qu’il sème à travers son œuvre comme des messages allégoriques. Dans son premier livre Les jardins statuaires, il frôle de ses ailes d’écrivain hors du temps le rêve des hommes jardiniers.

Le geste du sculpteur

Les hommes et les femmes d’ici parlent peu, marchent dans l’immensité, loin de l’indifférence. La puissance d’une narration libre et sinueuse nous entraîne dans la société mystérieuse des jardins statutaires. Un monde où poussent les statues dans de vastes domaines paisibles et bienveillants, un monde fragile parcouru par un narrateur sans nom.

Son style précis et tortueux évoque le geste du sculpteur qui sort de ses mots bruts, à petits coups de burin, de larges bas reliefs antiques à la patine soyeuse. Une terre d’avant le texte où la tendresse des hommes côtoie la brutalité minérale. Un monde ancien qui se meurt dans l’attente d’une renaissance. Et puis au centre du roman et de l’œuvre de Jacques Abeille, la présence des femmes vibre, la musique de leurs corps et du désir résonne dans le marbre des statues. Une vaste épopée empreinte de sensualité, pétrie de légendes et de liberté.

Un écrivain rare

Roman populaire, intime et surréaliste, il évoque ces tableaux étranges de Magritte où les pierres flottent dans le vide. Car Abeille interroge avant tout l’art et la création, la place de l’homme moderne écrasé par le poids de ses convenances absurdes, cette humanité aveuglée et craintive. Il y a du prémonitoire dans le travail de cet écrivain rare. C’est peut être le sens de la renaissance de ce travail qui de jour en jour connaît de nouveaux lecteurs surtout chez les plus jeunes. Ce vent de fraîcheur romanesque, né dans les années soixante-dix et oublié jusqu’à sa réédition en 2010, s’inscrit dans la lignée des romans chamaniques, d’initiation, des romans mondes. Il ouvre un œuvre dense en plusieurs volets, un vaste chantier littéraire à découvrir au fil des éditions. Un livre à déconseiller vivement aux âmes insensibles nourries des faibles certitudes du temps.

Mais peut-être ne suis-je pas très objectif, j’ai découvert ce beau texte dans les immenses plaines blanches du nord de l’Europe, au début de la nuit, dans un janvier cruel et glacé de 2015. Heureux de le partager.

En vérité je ne sais d’où ces statues tiennent cet air de présenter chacune à sa manière une déchirure profonde et secrète, mais comment n’en serait-on pas touché ?

Patrick Emourgeon (Musanostra, http://www.musanostra.fr)

Les jardins statuaires, Jacques Abeille, Editions Attila (2010)

Musanostra, café littéraire et site littéraire corse, http://www.musanostra.fr


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Charlotte PALMA - Auteur

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