Scène // Slam, laboratoire de zumanité

Historiquement, le slam est une compétition de poésie, dans un espace public ou dans un lieu de spectacle. Né d'une idée du poète américain Marc Smith en 1986 dans le but de rendre les lectures de poèmes moins ardues et plus accessibles, le slam prévoit des règles minimales, laissant une grande liberté aux poètes à l'intérieur de ces règles de base. Le slam appartient au genre de la poésie engagée, entre la diction et le chant. la partie instrumentale est au service du texte et ne le couvre pas. Le musicien et écrivain Dominique Bertrand nous livre ses réflexions sur ce genre littéraire et scénique à part, véritable outil de démocratisation et performance poétique.

Quelques mots en vrac à propos de cette pratique qui se répand de plus en plus, invitant chacun – quiconque – à venir sur scène, face à un public, pour laisser entendre comment ça pulse en lui, la parole, lorsque celle-ci – enfin allégée de sa fonction lourdingue d’ustensile communicationnel – se découvre alors des rythmes, des profondeurs et des puissances inconnues.

 

Véritable laboratoire de l’humain, la « scène ouverte » attire ceux que le langage travaille du dedans, tant les laborieux de la grammaire que les blessés du verbe (et il y en a bien plus qu’on peut le croire) qui trouvent dans le rythme et les assonances l’élan qu’il faut pour sauter, et se laisser surprendre par leurs propres mots.

 

Laboratoire de la démocratie, aussi, car cela n’est possible que grâce à l’écoute des écoutants, et parce que la force de la poésie est de permettre de dire n’importe quoi, même la vérité. Mais ici ce n’est pas tant la vérité du contenu qui est en jeu, que l’étrange vérité de l’acte lui-même : le fait de prendre parole, non pas tant pour dire quelque-chose mais pour faire entendre ce miracle : la parole cherchant à sortir d’elle-même pour goûter au poignant vertige de l’indicible.

 

Soit : réveiller l’étonnement de cet évènement originaire qui fit de notre ancêtre commun le premier primate parleur. On comprend mieux quand on les voit sur la scène, les zumains, l’ouvrir toute grande pour qu’ils en sortent, les mots qui se bousculent dans leur gorge, cherchant à faire phrases pour en avoir le droit, de parler, et de se faire entendre, et d’en être digne alors, d’être humain…

 

Alors on comprend mieux ce qu’on fout là, malgré les prétentions, les maladresses, les flambées narcissiques, à porter sa carcasse sur cette terre. Juste pour ce qui leur sort parfois des lèvres, lorsqu’en dedans ça se bouscule, et que les mots s’accrochent les uns les autres pour franchir le seuil de l’audible et d’un coup faire monde. Humain est un mot de nombreuses solitudes, irrésistiblement attirées dans la nuit par le même brasier de verbe. Fraternité rare d’une énigme commune.

 

 

Dominique Bertrand, musicien, musicologue et écrivain

 

La nouvelle scène de poésie du chat noir, scènes ouvertes de slam tous les 3e mercredis du mois à la Mezzanine Pigalle (Paris 18e)

 


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Revue Bancal - Auteur

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