Amer M
16/09/2016
Suite à la découverte d'un portefeuille dans sa boîte aux lettres, Joséphine Serre part à la recherche littéraire d'Amer M – retraçant, à partir des documents trouvés dans ce portefeuille, l'itinéraire possible de cet Algérien venu travailler en France, comme des centaines de milliers d'autres, entre 1945 et 1973. Entre enquête et rencontre fantasmée, Amer M est l'histoire de cette recherche liant des trajectoires intimes et la relation hautement ambivalente de la France et de l'Algérie - de part et d'autre de la Méditerranée.
Suite à la découverte d’un portefeuille dans sa boîte aux lettres, Joséphine Serre part à la recherche littéraire d’Amer M – retraçant, à partir des documents trouvés dans ce portefeuille, l’itinéraire possible de cet Algérien venu travailler en France, comme des centaines de milliers d’autres, entre 1945 et 1973. Entre enquête et rencontre fantasmée, Amer M est l’histoire de cette recherche liant des trajectoires intimes et la relation hautement ambivalente de la France et de l’Algérie – de part et d’autre de la Méditerranée.
Ce travail choral témoigne tout d’abord d’une grande maîtrise dans la construction narrative, où s’entremêlent fiction et recherche documentaire. A travers un subtil agencement de documents, de notes de travail, l’autrice nous livre ses questionnements, nous mène de rencontres réelles en rencontres fictives, imaginées à partir des documents fournis par le portefeuille d’Amer. Cette traversée en apparence fragmentaire mais très ordonnancée est portée avec une grande finesse d’interprétation par 4 acteurs et actrices, dont l’autrice.
Amer M est une épopée qui se déploie en douceur, articulant les liens inextricables entre la petite et la grande histoire, le singulier et l’universel, le documentaire et le mythologique… Certes la figure fantasmée d’Amer nous interroge sur le destin de tous ceux dont la vie a été tiraillée par l’exil, comme l’illustre cette scène où l’autrice rencontre sur le port de Marseille un vieil Algérien évoquant sa « vie vécue pour rien ». Mais c’est aussi un questionnement sur la trace qu’on laisse derrière soi, sur ce que les autres en font, sur les trous et les énigmes de l’existence.
Au-delà de la dimension politique et sociologique de ce travail – qui nous permet de nous interroger sur notre histoire migratoire, donc sur notre pays – c’est surtout la quête d’une femme qui cherche à percer un mystère, à l’endroit précisément où le mystère de cette vie inconnue la renvoie à un trouble, voire à un double : une part d’elle qui lui échappe et qu’elle ne sait nommer.
Cette dimension introspective et auto-fictionnelle est un des aspects particulièrement émouvants de ce travail – et qui apporte une étonnante délicatesse à un sujet généralement traité de manière douloureuse et conflictuelle. Dans le rêve de Joséphine Serre autour d’Amer, dans sa manière d’imaginer la possible histoire d’amour d’Amer avec la pianiste Colette se développe un lyrisme cadré par la démarche documentaire, où les genres littéraires s’équilibrent et se nourrissent mutuellement. Alors, pris dans la traversée, on ne sait plus vraiment ce qui est rêve ou réalité, souvenir ou réminiscence. Cette ambiguité revêt soudain une dimension allégorique lors d’une très belle scène, où la comédienne Camille Durand-Tovar nous chante les Mots Bleus, sans que l’on sache s’il s’agit d’une situation vécue par l’autrice, par Amer, ou par nous mêmes lors d’une pérégrination improbable – où nous nous serions posés dans un bistro de province un soir d’été, spectateurs improvisés d’une situation à la fois fragile et dérisoire, à l’image de l’existence…
La dextérité des quatre interprètes et la justesse du travail scénographique (déployant un imaginaire autour de la trace, du document et des fantômes de nos vies minuscules) font d’Amer M un spectacle épopée, tout aussi humble qu’exigeant. On en repart dans un doux flottement, habités par ce que l’on sait autant que par ce que l’on ignore : qu’est-ce qu’un individu, qu’est-ce qu’une rencontre, un fantasme ? autant de mystères logés au cœur de cette histoire et qui résonnent avec nos propres migrations intimes….
Morgane Lory, auteure, metteure en scène et directrice artistique de la compagnie Le Don des Nues (http://dondesnues.com) et membre du collectif Open Source.
Du 19 septembre au 17 octobre 2016 au théâtre de Belleville
Texte et mise en scène Joséphine SerreAvec Guillaume Compiano, Xavier Czapla, Camille Durand-Tovar et Joséphine Serre
Collaboration artistique Pauline RibatCe spectacle a été créé à La Loge.
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