Artistes confinés # 3 // Mathieu Huot, metteur en scène et comédien
08/04/2020
Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !
Diplômé de Sciences-Po Paris (2001), du Conservatoire de Paris-XVI (comédien, 2005) puis au CNSAD (mise en scène, 2013), Mathieu Huot travaille sur l’hybridation scène/salle, notamment en croisant cabaret, théâtre de texte et performance. Interprète, il est passé du théâtre contemporain à la performance, tout en explorant la scène alternative, au cabaret et dans la jeune création. Metteur en scène, il est assistant de M. Langhoff, V. Goethals, co-fondateur des collectifs Les Boîtes à Cris (2005-08), Mahu (depuis 2008) et le collectif de recherche Open Source (depuis 2014). De 2008 à 2013, il travaille sur la valorisation de la différence à travers la figure du monstre. Depuis 2014 il estompe la séparation scène/salle pour inclure le spectateur dans la mise en scène et faire de ses spectacles une aire intermédiaire d’expérience personnelle et collective
Dans quels états émotionnels te plonge le confinement obligatoire ?
Dans l’ensemble, le sentiment d’avoir de la chance : j’ai pu fuir Paris pour la campagne, mon couple s’accommode très bien de la promiscuité au quotidien, c’est le printemps, on profite du jardin en fleurs, on a moins de contraintes professionnelles, on a la garantie d’un revenu suffisant sur les mois qui viennent… L’impression d’être en vacances, ou dans un éternel dimanche à la campagne. C’est très doux.
Aussi une angoisse diffuse liée au contexte, qui paradoxalement me fait apprécier d’autant mieux ma situation.
Et une angoisse face au futur professionnel qui m’attend, où il sera encore plus dur qu’avant de concilier art et argent.
Ces émotions sont-elles favorables à ta créativité ?
Elles ont plutôt ré-orienté mon activité : je ne répète plus (hélas, car j’aime ça) mais j’ai repris un projet d’écriture sur Monet que je tisse depuis plusieurs années. C’était l’occasion rêvée : j’alterne entre jardinage et écriture comme Monet alternait entre jardinage et peinture (qui est une autre forme d’écriture, pour moi). Et je peins, pardon, j’écris, dans une période décrite par notre président comme un état de guerre (même si c’est abusif, mais qui en tout cas rompt brutalement le quotidien, la normalité, les affaires, les liens sociaux, bouleverse tout…) quand Monet peignait ses Nymphéas à Giverny alors que son fils combattait à Verdun…
Une très bonne occasion de me réorienter, comme Monet, sur ce qui fait du bien, sur la nature comme ressource bienfaisante, sur ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, et de m’inviter moi autant que les autres à y prêter plus d’attention.
L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ?
Concrètement, je passe moins de temps à travailler, et j’ai parfois du mal à m’y mettre. J’ai suspendu tout travail autour des spectacles, qui pour moi est un travail d’équipe, et où la présence physique est un ingrédient indispensable.
Mais pour me recentrer sur l’écriture, qui pour moi est une pratique solitaire, et sur des tâches de fond : repenser la structuration de la compagnie, son contenu, sa communication, définir une stratégie sur les mois à venir.
Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mis en place dans ton activité artistique ? En bref, sens-tu que tu écris différemment ?
J’arrive mieux à faire ce que j’ai toujours essayé de faire : travailler par désir, et y aller au désir. Je me sens plus disponible, car moins pris par tout le travail non artistique (production, diffusion, communication, réseautage, administration…) qui peut prendre les 2/3 de mon temps – et de mon espace mental.
Le contexte sanitaire et la situation de confinement t’inspirent-ils, influencent-ils déjà ta production artistique ?
Ressens-tu le besoin/l’envie de t’exprimer à travers ton art sur l’épidémie et la situation ?
Je préfère éviter de m’exprimer sur le sujet à travers mon art – en tout cas pour le moment.
Ça me paraîtrait opportuniste, et j’ai horreur de ça.
Peut-être quand l’actualité sera passée à complètement autre chose, peut-être qu’alors ça vaudra le coup. Mais pas maintenant.
Et me noyer dans la masse des artistes qui pensent avoir quelque chose à dire d’intéressant sur le sujet, non merci.
Je préfère me concentrer sur les angles morts de l’attention, à commencer par la mienne, comme Monet.
Je ne veux pas que l’actualité définisse mes sujets de travail et me pousse à devenir un agent de l’inflation médiatique de sujets éphémères. D’autant que certains sujets méritent mieux que la mode opportuniste.
Par exemple, je suis très curieux de voir combien d’artistes soi-disant engagés auront encore le courage dans les mois qui viennent de faire des spectacles sur le féminisme ou sur les migrants, les deux sujets-gâteaux de ces derniers mois. Je suis entre rire et larme sur cette attitude opportuniste qui utilise l’engagement comme un argument de vente et ne défendent des causes que le temps de leur intérêt personnel.
Un spectacle n’a jamais changé la réalité. La Guerre de Troie n’aura pas lieu n’a pas empêché deux guerres mondiales de se produire. Guernica n’a arrêté aucune guerre, ni en Espagne, ni dans le monde. Si vous voulez changer la réalité, militez dans votre vie, et pas sur scène. Faites des actions dans la vie, pas des spectacles. Le monde de l’art est devenu l’occasion d’un ignoble jeu de postures qui servent de caution à l’inaction politique de chacun de ses acteurs.
Il est plus que temps de s’interroger sur la place de l’artiste dans la société et le type de valeur ajoutée qu’il apporte. Je suis de ceux qui pensent que l’art est inutile. Pas vain, ni sans valeur, mais inutile : sa valeur est ailleurs que dans l’utilité, l’efficacité politique ou la valeur marchande. Qu’on se questionne sur la valeur, dans une société et dans une vie. Il serait temps.
Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?
Oui, clairement. Je m’attends à un véritable carnage financier :
– réduction des financements publics à tous les étages ;
– accélération de la disparition des tiers-lieux ;
– difficultés de plus en plus grandes à obtenir le statut d’intermittent du spectacle et donc à assurer un revenu minimum ;
– renforcement des logiques de coproduction, qui poussent à la violence du conformisme et à l’entre-soi ;
– systématisation des appels à projets, souvent bidons car leurs émetteurs ont déjà une short-list en tête, et qui de toute façon ne permettent pas l’émergence d’un hors-champ thématique pourtant vital ;
– éjection de la profession des non-héritiers, pour ne garder que les gosses de riche et une poignée de quotas surexposés qui servent de caution à la diversité ;
– renforcement d’une conception utilitariste de l’art qui nous détourne de notre cœur d’activité pour sur-développer les déclinaisons pédagogiques, militantes, etc. (qui consistent en fait à combler les failles de l’éducation nationale ou de la vie démocratique, sans qu’on en ait les compétences ni la légitimité).
Le risque, c’est donc de ne plus faire du théâtre qu’entre héritiers (et pour quel public ?), qui serve la soupe qu’on lui demande par appel à projets, bien dans le sens du vent.
Mais en ce qui concerne mon activité artistique, je suis confiant : jamais nous n’avons laissé dans ma compagnie les difficultés matérielles nous empêcher d’avancer artistiquement. En 12 ans d’activités, on peut dire que ça relève du succès. Nous en sommes fiers, et ça nous rend confiants – mais vulnérables. Mais être à la fois confiant et vulnérable, c’est le propre de ce choix de vie, je crois.
Propos recueillis par Marie
Compagnie Mahu https://www.compagnie-mahu.com/
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