Awake
14/09/2016
Il paraît jeune et pourtant c'est un « Monsieur adulte ». Un monsieur adulte qui par définition (n'étant plus un enfant) ne peut plus se dire orphelin. Pourtant le Père est mort, et l'on sent bien que tout cela – auquel nous sommes conviés, n'aurait probablement pas été aussi nécessaire sans cette perte.
Il paraît jeune et pourtant c’est un « Monsieur adulte ». Un monsieur adulte qui par définition (n’étant plus un enfant) ne peut plus se dire orphelin. Pourtant le Père est mort, et l’on sent bien que tout cela – auquel nous sommes conviés, n’aurait probablement pas été aussi nécessaire sans cette perte.
Il se tient debout, très debout, et il nous parle de choses essentielles. De la structure du langage, et de ses limites – des injonctions liées au fait d’être un homme (et non une femme) – et d’être par conséquent obligatoirement du côté de l’universel, de l’oppresseur, et des comptes à rendre. Il nous parle du corps qui vieillit, des cheveux qui tombent d’ennui, des poils qui poussent sur des zones qu’on aimait vierges – il nous invite à une auscultation de nous-mêmes par l’écoute de sa description, il nous invite à regarder un visage, son visage – à le reconstruire à travers les mots qu’il a choisis – dans un étrange jeu de miroir, un regard qui se regarde. Il nous parle aussi de sexualité, de rencontres dans des saunas, de ce qui se joue dans ces endroits du désir qui se veulent libres, au prix d’autres règles implicites.
Et c’est avec fluidité que nous le suivons au gré de cet auto-portrait mental, comme les traits d’un visage construisent un à un, et sans qu’on s’y attarde, le paysage d’un individu.
Il nous parle de choses essentielles, avec humour et de plein fouet. Dans un geste théâtral qui explose par sa pureté. Tant au niveau de l’écriture que de la construction dramaturgique, tout ce qui est dit, tout ce qui est montré est simple et nécessaire. Un travail chorégraphique où les gestes s’impriment sur notre rétine (comme les signes d’un alphabet qu’on connaîtrait sans le savoir) et entrent en correspondance avec le texte. Economie des déplacements et des lumières, sens de la rupture dans l’interprétation, et un travail vidéo subtil qui travaille sur deux motifs récurrents : un mode de projection flash, telle une réminiscence instantanée et aussitôt disparue, alternant avec la projection d’un aplat de couleur rouge, dont la lente disparition renvoie au travail de Mark Rothko – deux voies de trouble de la perception, qui disent le rapport au souvenir, l’instabilité des choses, ce qui varie en permanence, nous échappe et nous revient, parfois trop vite, parfois trop lentement…
A travers ce regard introspectif d’une belle intransigeance, Matthias Claeys ne lâche pas prise face à ses petites faiblesses, ses faux semblants et autres paroles de bonne conscience, pour mieux nous renvoyer aux nôtres. Ils nous parle de la peur de vieillir et de celle de l’insuccès, des petits actes politiques que personne ne voit mais qu’on fait quand même (de la politesse au choix vestimentaires) du punk réac qui sommeille en nous et qui en veut déjà aux plus jeunes que lui – d’être plus jeunes que lui.
Avec l’énergie de ce qui en vaut vraiment la peine, il nous offre pour finir une danse d’intensité et de révolte, dont l’élan communicatif nous emplit d’un sentiment intense et profond : la joie – de vivre.
Un moment précieux.
Morgane Lory, auteure, metteure en scène et directrice artistique de la compagnie Le Don des Nues (http://dondesnues.com) et membre du collectif Open Source.
Awake, Interprétation et texte : Matthias Claeys, Mise en scène : Matthias Claeys, Kévin Dez et Marion Romagnan, Création lumière : Vera Martins, Création vidéo : Ori Parizel. Créé à Confluences, lieu d’engagement artistique (avril 2015).
Jusqu’au 16 septembre à 20h à la Loge
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