Cabaret-salon // Rencontre avec Mathieu Huot
02/04/2019
C'est la 2e édition du nouveau rendez-vous de la Cie Mahu, quelque part entre cabaret contemporain, salon littéraire et performance.
Les gens peuvent s'y rencontrer, discuter, entendre de la grande littérature, théâtrale ou non, dans plusieurs langues, des chansons, découvrir des textes théoriques et scientifiques, Voir des freaks, de la danse et de la musique, oser des rapprochements improbables, se laisser aller à leurs libres associations, créer de nouveaux liens.
Pour public avide de stimulation et d'ouverture intellectuelle, artistique, humaine. L'après-midi, en semaine, pendant ton RTT, ton chômage ou ta retraite, avant d'aller chercher les enfants (pour ceux qui en ont). C'est l'art dans la vie !
« Un travail d’écriture qui s’écrit à travers les autres »
Haim Adri
En janvier dernier, tu as présenté pour la première fois au Théâtre de la Reine Blanche un cabaret-salon. Pourquoi ce nom ?
Mathieu Huot : Dans le cabaret, je retrouve une forme politique de divertissement où la notion de fragment est constitutionnelle de la structure parce que l’on est dans le cadre de la revue. Un endroit où il est communément admis qu’il n’y a pas forcément de rapport entre chaque numéro. Le salon littéraire, tradition du XVIIe au XIXe siècle, permettait lui d’associer différents arts (musique, littérature principalement) mais aussi des apports plus théoriques : humanités, science… Nous avons cherché à développer une dramaturgie quelque part entre ces deux notions car cela nous semble proche. Le cabaret-salon est un geste très rapide. Il y a surtout l’idée qu’il n’y a pas besoin que ce soit parfait. J’aime beaucoup cette qualité imparfaite parce que c’est là que se niche l’humain. Ça m’intéresse finalement plus que les virtuoses.
Alors qu’est-ce qu’un cabaret-salon ?
MH : C’est un rendez-vous qu’on espère régulier, conçu avec Thomas Kellner et Stanislas Briche, quelque part entre cabaret, salon littéraire, performance et notre humour décomplexé. Les gens peuvent s’y rencontrer, discuter, entendre de la grande littérature (théâtrale ou non), des textes théoriques ou scientifiques, dans plusieurs langues, des chansons, de la musique, et d’autres surprises encore.
Simplement parce que ça fait du bien.
Vous ouvrez le spectacle avec cette citation du metteur en scène russe Meyerhold : « Ah mes associations chéries » dans ses notes de mise en scène[1]. Que signifie-t-elle pour vous ?
MH : C’est une bonne synthèse de la façon dont fonctionne, à mon sens, une œuvre d’art : si elle a une logique, c’est celle de la libre association – d’idées, d’imaginaire, de sensations, d’émotions… de tout ce qui nous constitue. On voyage d’une chose à l’autre, de manière imprévisible. Et ce faisant, on change notre rapport au monde et à nous-même, chacun et collectivement.
L’idée du cabaret-salon est de proposer nos associations pour susciter les vôtres.
Chacun devient alors contributeur potentiel d’une communauté éphémère qui pense, agit et ressent.
C’est-à-dire ?
MH : Concrètement, le spectateur est libre de son corps, de ses mouvements et de son attention comme dans une exposition. Il peut aller et venir, changer de point de vue ou ne pas écouter et partir dans ses propres associations. C’est important pour nous de lui laisser la possibilité de décrocher (il peut même sortir fumer, revenir, sortir son téléphone et aller sur Facebook, prendre des photos…) et de ne pas chercher à tout contrôler.
Le spectacle repose sur la notion d’angle mort, tu peux expliquer ce choix ?
MH : Tout le monde ne verra pas tout et notre travail de composition est précisément pensé comme ça. Ces angles morts correspondent aux angles morts de la pensée : on ne voit pas tout, ni le public, ni moi. C’est au fond une notion très théâtrale, on travaille beaucoup avec ce qui nous échappe.
Pourquoi Faust ?
MH : Au départ c’était une blague (ne pas sous-estimer le pouvoir créateur de la blague). Avec Thomas Kellner et Stanislas Briche, on avait travaillé 4 ans sur Quartett de Heiner Müller, et on voulait continuer avec un nouveau projet franco-allemand. Il fallait nous mettre en danger. On a cherché dans les fondamentaux de nos cultures, du coup la blague c’était : Faust ou Phèdre.
Faust est mal connu en France alors que c’est un texte fondateur en Allemagne. Il y a énormément de proverbes de la vie courante inscrits dans le patrimoine génétique de la langue allemande. C’est aussi le texte fondateur du Romantisme : il a eu un impact dans toute l’Europe.
A la lecture, l’œuvre part dans tous les sens. J’ai été fasciné par la sensation d’une œuvre complète, comme si le monde entier était contenu dans une seule œuvre.
La question du Dr Faust, qui a tout lu, tout appris, et sent ses désirs toujours autant frustrés, c’est : est-ce que la connaissance (la culture) rend l’homme meilleur ? Et sinon, vers quoi se tourner ? L’interdit, le caché (le mal) ? Un retour à l’état de nature ? Dans Faust, Goethe en explore les aspects intimes, religieux, politiques, imaginaires, amoureux, sexuels presque méthodiquement.
« Je ne connais pas d’œuvre qui explore à ce point toutes les dimensions de la question posée. » Thomas Kellner.
Si Faust me parle, si le cabaret-salon me parle c’est par cette possibilité de zapper d’une question à l’autre un peu comme Dante, Cervantes, Rabelais ou Shakespeare.
Et puis Thomas Kellner m’a convaincu (il sait me parler) quand il m’a dit qu’en allemand, contrairement à ce qu’on croit (la tradition pontifie toujours tout), les vers de Goethe sont souvent des vers de mirlitons, pauvres, presque bêtes. Si Goethe avait cet humour et cette humilité-là, alors je savais qu’on pouvait s’y atteler.
Dans l’idéal, on veut monter tout Faust I et II. 500 pages de texte, environ 30h de spectacle. Le cabaret-salon nous permet d’avancer par petits bouts, en y associant à chaque fois des invités-surprises et des spectateurs.
Propos recueillis par Marie Bationo
Avec Stan Briche, Thomas Kellner, André Salles, Mathieu Huot, les artistes turcs Kerem Kitay, Merve Oduk Ozeren, Ali Katırcı (à distance),
et des invités surprises, mise en scène Mathieu Huot, au théâtre de la Reine-Blanche, mardi 9 avril À 15h, prix libre, réservation recommandée (jauge très limitée) : contact@compagnie-mahu.com, durée : 1h30
[1] Citation exacte : « Mes associations bien-aimées… Cherchez des approches associatives. Travaillez avec des approches associatives ! Je n’en suis encore qu’aux frontières de la compréhension de la force immense des associations par images au théâtre. Il y a là des terres vierges riches de potentialités. »
Vsevolod Myerhold, Notes sur le travail du metteur en scène 1935-38, in Vsevolod Meyerhold, collection Mettre en scène, Actes Sud-Papiers, 2005
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