Cinéma // The Mumbai Murders
04/12/2018
"The Mumbai Murders" est un film sans chronologie, construit en puzzle qui flirte avec les origines de la haine. Le réalisateur Anurag Kashyap, s’inspire de l’histoire vraie de Raman Raghav, tueur en série légendaire qui a commis une quarantaine de meurtres à Bombay entre 1965 et 1968. Un film féroce et halluciné, à voir d'urgence !
Ramana joué par Nawazzudin Siddiqui, est un tueur en série avec une belle balafre qui coupe son visage en deux. Avec lui, toujours, un marteau, une masse qu’il traîne derrière lui, qu’on entend avant de voir. Le spectateur dans son siège se rencogne, n’y croit pas, Ramana lève encore son marteau ou sa masse et l’abat sur untel & untel ; même sur l’enfant attaché qu’il a surnommé Le Temps, & il dit en riant à l’enfant attaché, bâillonné, qui ne peut rien répondre : « si on me demande pourquoi je t’ai tué, je dirais que c’est pour tuer le temps… »
Changement de plan. L’enfant est retrouvé quelques jours plus tard par le flic pourri, junkie, Raghavan, joué par Vicky Kausha. Beau gosse viril & sans scrupules.
Raghavan a déjà tué avec le marteau de Ramana. Dans une scène-puzzle du film, on le voit junkie, venir acheter « la femme de ceux qui n’en ont pas » comme dirait Mano Solo dans sa chanson « Au creux de ton bras ». Il arrive chez son dealer mais celui-ci a été tué à coup de marteau, Raghavan (on ne sait pas encore qu’il est flic) enjambe le cadavre & s’en va farfouiller dans un placard, histoire de trouver ce qu’il vient chercher ; seulement, un inconnu arrive & le surprend, lui, junkie, avec le cadavre à côté, s’emparant de la poudre blanche…
Raghavan ramasse le marteau & sans état d’âme, l’abat tranquillement sur l’inconnu & s’en va; ignorant que Ramana, l’assassin du dealer était là, tapie, dans le noir & l’avait vu, lui, agir à son image.
Zoom avant sur le visage tapie dans le noir de Ramana nous donnant à voir un sourire des plus étranges.
Raghavan & Ramana ne sont qu’un.
Comment le savoir ? Comment est-ce possible ?
Ils vont devenir indémêlables.
Anurag Kashyap, le réalisateur, joue beaucoup sur la sidération & sur le désir.
Sidération vient du latin sideratio « action funeste des astres; insolation » Quand le mot désir nous vient du latin desiderare « regretter l’absence de quelqu’un ou quelque chose », dérivé de sidus, sideris « constellation, étoile» qui, précédé de « Dé », peut se traduire par désétoilé, ou déconstellé, impliquant le manque.
Ces deux mots parlent la langue des augures.
Ce film ne manque pas de ciel, de hauteur, il voit loin, nous entraîne là où tout à chacun, redoute d’aller.
Qui suis-je ?
Anurag Kashyap le dit d’une autre façon, parlant de Ramana & Raghavan « Ils partagent la même nature violente, qui est le reflet de ce qui se passe aujourd’hui dans la société indienne. Il est plus facile de comprendre le Mal quand il s’incarne dans la figure d’un criminel. Mais quand ce Mal s’incarne dans les institutions d’un pays ou la religion, c’est beaucoup plus perturbant. »
Qui est qui ? C’est ça la question.
Ramana est-il vraiment fou ?
Quant à Raghavan, ces cristaux blancs dans le pif nous disent bien d’où ils viennent. L’addiction, c’est dépendre de… & d’une certaine façon, c’est être moins seul. Dépendre c’est répondre déjà à quelque chose.
& répondre c’est encore une façon d’exister, c’est encore un repère.
La substance c’est vouloir se faire du bien au début.
Derrière tout ce sang, ce film parle d’amour & de maltraitance. De manque & de désir.
La scène avec le père de Raghavan est éloquente. Les cristaux viennent de là, d’un patriarcat répugnant.
Raghavan bien évidemment va traquer Ramana, c’est le rôle du flic mais Ramana a trouvé Raghavan & ne va plus le lâcher.
Ramana a trouvé son double.
Film hybride entre les frères Cohen & Tarantino. On pense à No country for old men sorti en 2007 d’après le roman de Cormac Mc Carthy. Ramana est un double d’Anton Chigurh joué par Javier Bardem, psychopathe qui tue comme il respire, à une différence près, Anton Chigurh dans le film des frères Cohen, est engagé, il fait ça pour de l’argent. Ramana tue pour manger, suivant son désordre du moment, version indienne, tellement de monde en Inde…
On pense aussi à Pulp Fiction, à cause de la danse dans les boites de nuit, & de la musique décalée, traitée comme un personnage secondaire, à chaque meurtre, elle se déchaine. Merci à Elle, la musique, car elle permet de respirer, de décrisper les mâchoires, elle désidère le spectateur.
Au suivant !
Car la façon de tuer de Ramana n’est pas celle d’un tueur ordinaire si je puis me permettre. Il tue comme il mange, marche ou chie… Il le dit, « Je mange je chie & je tue »…
& c’est vrai !
A part que ce n’est pas du second degré comme dans Tarantino, ni du premier degré mais bien plutôt du degré zéro de l’humanité dans toute sa bestialité. On voit un homme libre, dans sa solitude, sans fond, sans bord, sans limite ; sang pour sang.
Heureusement, la caméra avec subtilité, utilise le hors-champ, on ne voit rien ; sauf la peur dans les yeux des futurs morts.
La caméra de Kashyap me fait songer à la guitare de Hendrix, ils y vont. L’un avec sa caméra & l’autre avec sa guitare & s’il faut mettre le feu, ils n’hésitent pas…
A la fin d’un concert donné au Finsbury Park Astoria de Londres, Jimi met le feu à sa guitare avant de la fracasser sur son ampli.
La fin de The Mumbai Murders alimente le feu.
L’Inde va mal, nous dit le réalisateur.
Du sang à l’eau de rose, version Bollywood, du rire jaune & le souffle coupé. J’ai retenu mon souffle plus d’une fois.
En Inde, il ne fait pas bon d’être femme. La femme y est un bel objet craintif & mal lui en prend si elle veut se révolter. Simmy, jouée par Sobhita Dhulipala, la régulière de Raghavan, déjà trois avortements dans le ventre, essaie de résister. Elle finira mal.
C’est un film féroce, halluciné, qui va à toute berzingue, sans pathos, sans jugement, déroulé en cinq chapitres, à voir d’urgence !
& prévoir un chaï à la sortie, histoire de souffler un peu.
valérY meYnadier, autrice et art-thérapeute,
The Mumbai Murders, thriller psychologique indien, réalisé par Anurag Kashyap en 2016, sortie en France en novembre 2018
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