Danse // Rencontre avec Zora Snake
21/03/2019
Danseur, chorégraphe et performeur, Zora Snake brise les frontières des arts et des styles, pour se situer à la croisée des univers. Il présente actuellement « Les séquelles de la colonisation 2, patrimoine africain en Europe et ses conflits », une performance sur la décolonisation des œuvres d’arts au musée Linden à Stuttgart, ainsi que sa dernière création, « Le départ », une pièce percutante, qui met en scène un combat de la jeunesse contre l’injustice. Ces créations décalées, originales et engagées font de lui l’une des figures montantes de la création contemporaine en Afrique Centrale.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours ?
Zora Snake : Je viens du monde du hip hop, et c’est à partir des battles que je me suis fait remarquer ; j’ai remporté pas mal de concours de hip hop, notamment un style que l’on appelle popping. En même temps, je faisais déjà des performances. Avec le temps, la maturité, le travail, la réflexion, je me suis professionnalisé et je suis rentré dans le monde de la création. Lors d’une formation à l’Institut Français où étaient invités Serge Aimé Coulibaly et Salia Sanou, j’ai fait un travail sur la création contemporaine qui m’a fait réaliser que j’avais beaucoup à dire à travers la danse. Depuis je ne me lasse pas d’apprendre, mon travail s’enrichit de tous les univers artistiques – les arts-martiaux, les films, la littérature, un peu de philosophie – et aussi de ce qui est spirituel. J’aime beaucoup lire Fatou Diomé, Franz Fanon, Dieudonné Niangouna, tous ceux qui ont écrit sur la décolonisation et sur toutes les formes de révolution.
La décolonisation est un thème important pour toi ?
ZS : Je mène actuellement un travail de mémoire sur la décolonisation, qui sera notamment exposé à partir de mars 2019 au musée Linden de Stuttgart, l’un des plus grands musées anthropologiques en Allemagne. Il porte sur la décolonisation, des imaginaires des objets, le patrimoine et les conflits relatifs au patrimoine africain en Europe. Sortis du contexte dans lequel ils étaient, ces objets sont désacralisés. A travers la performance « Les séquelles de la colonisation 2, patrimoine africain en Europe et ses conflits », on fait une tentative de restitution de leurs âmes disparues ; je viens les reconnecter spirituellement.
Quelle est la place de la tradition dans ton travail ?
ZS : C’est très important pour un danseur d’être conscient de ses origines. Je viens d’un lieu qui a subi toute l’histoire de la terre ; c’est un combat pour nous de se reconnecter avec nos origines.
L’idée de patrimoine, je l’incarne artistiquement. Dans le milieu artistique, on n’est pas là pour faire un travail d’illustration d’un mouvement folklorique, mais un travail qui va être l’inspiration d’une puissance provenant de quelque part, ça peut être une puissance spirituelle, traditionnelle, religieuse, artistique. Pour moi c’est ça l’art, c’est une inspiration, et le geste artistique est le prolongement de cette inspiration qui se transforme en « corps chorégraphique ». C’est pour cela qu’il est très important d’être connecté avec le patrimoine… parce qu’une fois que tu es connecté, tu sais où tu es, où tu veux aller, où tu vas avec ton projet artistique, ta vision, ta chorégraphie, ton esthétique, ta démarche. La prise de conscience de ses origines est rassurante, dans un parcours artistique mais aussi humain.
Peux-tu nous parler de ta dernière création, le départ ?
ZS : le départ s’est pensé en 2015 pendant une formation à l’Ecole des Sables, lors d’une discussion sur la situation politique et économique du pays avec une amie du nom de Soraya Ebelle. J’ai ensuite écrit sur la situation d’un jeune : ce qu’il aimerait réaliser dans son propre pays sans y parvenir parce que la situation politique lui fait perdre ses forces, son enthousiasme, fragilise son rêve. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire sur le départ. Puis j’ai commencé à m’intéresser à la politique au Cameroun, et je me suis dit : tiens on est avalé par un système et on a peur de dire ce qui ne va pas parce que le système a tout fait pour installer le doute et la peur en nous.
Donc j’ai pensé le départ comme un acte, un geste artistique que j’assume, un acte de décision. Ce départ n’est pas un départ vers un ailleurs, portant en lui le rêve d’une fuite ou d’une désertion, non, c’est un départ pour reconquérir un renouveau en Afrique et dans le monde. C’est aussi l’expression d’un rêve : dire que ce changement est possible, et qu’un jour on y parviendra. C’est pour cette raison que j’ai intitulé la création le départ, pour amener tout spectateur à réflexion. Ça doit être poignant mais aussi détendu… c’était vraiment important pour moi d’y mettre de l’humour !
La spiritualité a une place importante aussi dans ta création, comment l’as-tu pensée ?
ZS : J’ai écrit dans la note d’intention : le départ n’est pas une fuite mais un moyen de reconquérir un renouveau en Afrique à travers ce combat pacifique. Je crois que le patrimoine peut nous donner cette force de reconquérir l’espoir, nous donner une puissance spirituelle pour combattre cette domination de l’Homme par l’Homme. Donc, dans le départ, je passe par les origines pour informer les ancêtres, leur dire qu’on est connecté ensemble et que j’ai besoin de plus d’énergie pour continuer le combat.
Ceci n’est pas un rituel, c’est une performance. J’en suis venu à introduire cela parce que j’y ai vu une cohérence dans la dramaturgie. Ça montre aussi la responsabilité en tant qu’artiste d’assumer ses origines publiquement.
A travers cette création, qu’est-ce que tu souhaites partager avec le public ?
ZS : Un message humaniste sur l’état du monde dans lequel nous vivons qui ne s’adresse pas qu’aux africains ou aux européens mais aussi aux 8 milliards de voisins !
le départ porte l’espoir que chacun prenne une minute pour réfléchir à la misère sociale – fabriquée par une industrie… « celle des riches » – pour tenter de s’extirper de la gueule du prédateur. C’est un combat pacifique pour nous élever plus loin.
C’est aussi l’une des raisons qui m’a poussé à créer le festival Modaperf au Cameroun. Dans un contexte sociopolitique et socioculturel difficile et face aux menaces qui terrifient notre pays, Modaperf a pour vocation de dévier la peur qui nous ronge et trouver un lieu de refuge apaisant pour mon peuple.
Cette année nous rendons hommage aux victimes et aux réfugiés camerounais.
Entretien recueilli par Sandra et réalisé lors du festival Dialogue de corps au Centre de développement chorégraphique La Termitière, Ouagadougou, Burkina Faso
Créations et performances à venir
Exposition-performance dansée « Les séquelles de la colonisation 2, Patrimoine africain en Europe et ses conflits » présentée au Musée Linden de Stuttgart en mars et avril 2019
Le départ – création présentée en décembre 2018 au festival dialogue de corps à Ouagadougou (Burkina Faso)
Actualités de la compagnie zora snake
Commentaires
ETABA Arsène
26 mars 2019
respect Zora. Je suis un jeune danseur et pour t’avoir vu à l’oeuvre tu es un modèle. Respect.