Louise de Vilmorin
24/11/2015
Femme de lettres et journaliste, Louise de Vilmorin (1902-1969) naquit et mourut en Normandie à Verrières. Dans l’intervalle elle voyagea beaucoup, tomba amoureuse d’hommes illustres comme Malraux, tint salon et écrivit quelques bijoux de romans et poèmes.
Femme de lettres et journaliste, Louise de Vilmorin (1902-1969) naquit et mourut en Normandie à Verrières. Dans l’intervalle elle voyagea beaucoup, tomba amoureuse d’hommes illustres comme Malraux, tint salon et écrivit quelques bijoux de romans et poèmes.
Les romans Madame de et Julietta ont tous les deux fait l’objet d’adaptation cinématographique, c’est ainsi que j’ai découvert pour ma part Madame de signé de Max Ophüls, film délicat et tragique où la jeune Danielle Darrieux illumine l’écran. Lorsque je me suis penchée sur le roman original, c’est un style à la classe absolue qui m’a frappée. La beauté de la langue classique sert d’écrin à une pensée insolente et critique, et véhicule des images fortes. A cet art-là, l’auteur pleine d’esprit excelle comme son ami Cocteau avec qui elle entretenait une correspondance régulière. Quelques exemples pour le plaisir, tirés de Madame de :
» L’amour, en traversant les âges, marque d’actualité les événements qu’il touche. »
» – Madame, en me décevant, vous avez atteint en moi un sentiment que vous aviez fait naître et que vous gouverniez. Vous l’avez réduit à prendre sa retraite : ne comptez plus sur lui. »
« Elle passa la nuit dans un état de langueur angoissée qui la privait à la fois du bonheur et de remords. »
Ou, évoquant celle qui se meurt : » Elle gisait aux frontières de sa beauté prochaine. »
Dans Madame de comme dans Julietta, des objets a priori inoffensifs deviennent des outils de transaction amoureuse et déclenchent les rebondissements en chaîne. Mme de, grande bourgeoise endettée, décide de vendre une paire de boucles d’oreilles que son mari lui avait offertes pour leurs noces. Elle raconte les avoir perdues mais M. de ne tarde pas à découvrir le manège. A partir de là – orgueil oblige dans la bonne société de l’époque – personne n’ose avouer et la paire de boucles voyage, repassant régulièrement dans les mains du même bijoutier. A travers le bijou se joue un triangle amoureux tout en retenue qui, à lui seul, évoque la haute bourgeoisie du début du XXème et ses codes : quand le couple se vouvoyait, cohabitait mais ne partageait pas la même chambre ; quand on avait maîtresse et amant mais en toute discrétion et où l’on était très, très préoccupé de sa réputation… c’est pourtant l’amour du mari trompé, bouleversant de dignité, qui s’illustre à l’issue de ce drame bourgeois.
Dans Julietta, c’est un étui à cigarettes oublié dans un train qui décide de la rencontre entre Julietta, jeune fille rêveuse à l’âme d’enfant qui souhaite « inventer sa vie », et André Landrecourt. Se met en place dans la maison de campagne de Landrecourt un jeu de cache-cache entre Julietta qui a investi le grenier de la maison et le pauvre homme qui reçoit sa fiancée Rosie aussi belle que snob. Il s’entête à vouloir cacher l’invitée surprise à sa maîtresse, là encore parce qu’il a commencé par mentir et qu’il est contraint d’assumer la mascarade, s’enfonçant de plus en plus dans les situations délicates. Les scènes comiques se multiplient avec la fantaisie d’un vaudeville et la poésie propre à Louise de Vilmorin.
Madame de et Julietta sont des romans aussi divertissants que subtils : de vraies œuvres d’art.
« Landrecourt en pensant à Julietta pensait aux conséquences du mensonge qu’il avait fait à Rosie. Par ce mensonge, il avait mis Julietta en évidence, pour lui-même et lui seul, sur une scène interdite aux regards et offerte à une action sans limites de temps, dont ils étaient les uniques personnages. Il lui avait ouvert un enclos en marge de l’ordinaire où elle avait installé sa chambre comme un enfant se construit au jardin le repaire de ses vœux, la cabane où il installe sa vie, exerce sa fierté, son idée de l’avenir et son goût de l’autorité ; le toit sous lequel il veut passer la nuit comme si les heures du sommeil et du rêve devaient consacrer la réalité de son entreprise et celle, plus importante encore de son individu. Landrecourt en cachant Julietta lui avait permis de se montrer à lui tout entière, dans toute sa vérité. »
Claire Chevrier, http://enclaire.blogspot.fr
Madame de suivi de Julietta, de Louise de Vilmorin, Collection Folio (n° 294), Gallimard (1973)
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