Interview de Sylvain Kovacs, poète et écrivain
Sylvain Kovacs a publié près d’une dizaine d’ouvrages, essentiellement des recueils de poèmes, à travers lesquels il exprime ses douleurs, combats et démons personnels. Atteint de troubles psychiques depuis l’adolescence, il n’a jamais cessé d’écrire et d’explorer différents registres littéraires. Revue Bancal vous propose de découvrir son œuvre singulière à travers son portrait et quelques extraits choisis.
Quel est votre rapport à l’art en général ?
Adolescent, j’ai pratiqué la guitare classique au conservatoire d’Avignon. C’était alors une véritable passion et j’aurais pu en faire mon métier. C’est après avoir découvert Léo Ferré, qui fut pour moi une révélation, que j’ai commencé à composer des chansons, puis à écrire des poèmes. L’art ne doit pas être une fin en soi ni un but mais plutôt un moyen, l’artiste donne accès à une liberté au travers de laquelle chaque être peut exprimer son espace. Pour moi ce qu’on appelle l’art est une projection du futur, c’est toujours regarder vers l’avant.
« […]
Ce n’est pas pour vous mentir mais j’ai parfois conscience que ce monde est grandiose et les hommes malades
Alors je veux leur dire, leur faire toucher du doigt tout ce qu’ils n’ont pas vu ou qu’ils croyaient si vain
Lassés de lassitude, boursouflés d’ecchymoses, qu’ils prennent ces quelques vers comme un signe du destin
Je suis un cœur blessé et je n’ai que des mots »
Extrait de Les mots dans Mon amour a des ailes
Que vous apporte l’écriture ?
J’ai d’abord été musicien avant d’être poète. Personne ne m’a poussé à écrire, c’est une envie, un désir, qui, il est vrai, au tout début s’est manifesté dans l’urgence. La plume, l’encre et le papier m’apportent un imaginaire qui me transporte. La création en général élève l’âme et l’esprit, si bien qu’elle permet de m’échapper.
« J’oublierai qui je suis
Je n’aurai plus de formes
Mes mots s’envoleront vers des pays
Mes rimes sur un papier difforme
Seront la lueur de vos vies
Je n’aurai plus d’adresse
Ni rien de ceux qui n’ont connu d’ivresse
Que leurs jeux de majorettes
Je partirai vers la fête
Seul et enfin libre
Seul au début de ma vie !
Je m’effacerai sous les arbres
Je dormirai dans un nid
Je verrai de mon ciel
Cette terre qui se lézarde
D’ennui… »
Extrait de Peut-être dans Schizophrénie et pouvoir l’écrire
Pourquoi avoir choisi la poésie ?
La poésie est un mouvement de l’essentiel qui touche en profondeur, quels que soient les thèmes abordés. Bien qu’aussi difficile qu’un autre genre littéraire, cette écriture plus immédiate me convenait bien. Et puis les poètes ont souvent été considérés comme des gens à la marge, et à la marge je l’étais. Donc la poésie s’est plutôt imposée à moi.
« C’est une mauvaise amie qui voudrait voir ta peine […]
Elle aime ta compagnie mais tu voudrais la tuer, elle se terre où tu as mal […]
Mais rien n’y fait tu sais qu’il va falloir mener le combat avec elle […]
De nuits blanches en nuits bleues elle a pris l’assurance d’habiller tes deux yeux d’un regard sans revanche
Elle étouffe le peu d’existence de survie
C’est la mort qui te veut sur son lit de je t’aime
Et comme une vieille amante, elle coule tous tes vieux jours et toi tu lui souris
Lorsqu’enfin tu t’écroules
Elle s’en va lentement servir un autre fou
Et ce fou je le suis »
Extrait de La Poésie dans Mon amour a des ailes
Quelles sont vos influences, vos sources d’inspiration ?
Je me suis beaucoup inspiré de poètes visionnaires, comme j’essaie de l’être. Rimbaud, Verlaine, Aragon, et bien sûr, Léo Ferré, continuent de me guider.
« Il est des pas plus grands qu’on fait dans la souffrance
Il est des demi-mots qui font rire cependant
Qu’on y croyait tellement à faire frémir la France
L’adversité est claire, chacun est différent
Renoncer à la vie par le dégoût des autres
Mais croire que la douleur est un bien comme un autre
S’accomplir de son rêve en feignant la bêtise
Retrouver un peu d’air dans la pénombre grise
Il est des heures plus calmes parmi la solitude
Où le cœur cogne et frappe la vie par habitude
Et là tu te souviens je croisais ton regard
Qui installait en moi le plus profond des soirs »
Dans Schizophrénie et pouvoir l’écrire
Quels sont vos futurs projets ?
Dans mes écrits, reviennent toujours les mêmes thèmes ; je parle de l’amour bien sûr, de la mort, de l’écriture, des rapports humains… Autour de ces thèmes, j’aime expérimenter des formes littéraires variées. Après la poésie, le slam, et le récit, je m’essaie aujourd’hui au roman. Il est presque achevé et j’espère qu’il verra le jour prochainement.
« Il reste des larmes des envies de vengeance
Il reste l’impuissance le désarroi humain
Et ce peu d’espérance à nous tendre les mains
Cette partie de nous qui force l’exigence
Il reste l’absurdité d’un monde qui agonise
Il reste l’autorité imbécile et la trêve
Ce toit que tu n’auras jamais que dans les rêves
Toi et ton chien sous un pont ou dans une église
Il reste le chagrin où la nuit se dépose
Des larmes constellées comme une étoile filante
Le regret de n’être qu’un parmi tant d’autres
Et des je t’aime plein les cahiers tel un bouquet de roses »
Extrait de Il reste dans Schizophrénie et pouvoir l’écrire
Propos recueillis par C.C.
Schizophrénie et pouvoir l’écrire, Sylvain Kovacs, Editions des écrivains, 2001
Mon amour a des ailes, Sylvain Kovacs, Editions Le Manuscrit, 2009
Suggestions de lecture :
Le Schizo et les langues, Louis Wolfson, Gallimard, 1970
Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir memorial à Manhattan, Louis Wolfson, Attila, 2012
Mary Barnes : un voyage à travers la folie, Joseph Berke, Seuil, 2002
Crises, Lars Norén, Editions de l’Arche, 2007
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