RENCONTRES TRANSVERSALES // Tiers-Couille
29/11/2015
Première rencontre transversale à chaud, autour de Tiers-Couille, une proposition de Morgane Lory et Nadège Sellier, qui s'est tenue à La Loge du 18 au 20 novembre. Une fois encore les échanges entre le lieu, les artistes et les spectateurs étaient doux. Un moment qui, décidément, fait du bien.
Première rencontre transversale à chaud, autour de Tiers-Couille, une proposition de Morgane Lory et Nadège Sellier, qui s’est tenue à La Loge du 18 au 20 novembre. Une fois encore les échanges entre le lieu, les artistes et les spectateurs étaient doux. Un moment qui, décidément, fait du bien.
Le spectacle commençait dans la cour où, séparé en deux groupes, le public était invité à observer le réel, à prendre acte de ce qu’il y avait autour de lui, avant de rejoindre la salle. Puis, Nadège Sellier a refermé la porte derrière elle et enlevé son manteau : le théâtre est alors devenu un chez soi, un lieu intimiste comme La Loge le permet, où il fait bon se rassembler pour parler. Et à la fin du spectacle, il faisait encore bon y rester pour discuter dans le cadre de ces rencontres.
Entremêlant deux mondes, celui déployé par Morgane Lory qui, reprenant la matière de Pourquoi les comédiennes sont casse-couilles ?, incarne au plateau une conférencière s’interrogeant sur la place de l’actrice au théâtre, métonymie de la place de la femme dans le monde, et celui suggéré par Nadège Sellier, qui tisse son poème-paysage autour de la conférence qu’elle performe avec une grande et belle liberté, Tiers- couille, rencontre éclair – les artistes ont eu deux jours pour amalgamer la matière, pose un singulier regard croisé sur le monde actuel.
Le propos de Morgane Lory sur la figure de l’actrice était l’occasion de s’interroger sur la place de la femme dans nos vies, ce que c’est qu’être une femme, prise dans une construction sociale et langagière qui nous pré-définit, nous contraint, nous limite, et parfois (souvent) nous empêche de vivre. Les discussions allaient bon train, chacun y relisait, reliait son histoire personnelle. Est-ce que les hommes se posent autant de questions sur leur condition ? En sentent-ils la nécessité ? Doivent-ils, eux aussi, se justifier de revendiquer d’être un homme ? Si être un homme est finalement tout autant une construction sociale et langagière, comment se fait-il qu’il n’y ait, à notre connaissance, aucun spectacle qui fasse de « être homme » son sujet ?
Juxtaposé pour certains, entrelacé pour d’autres, le propos de Nadège Sellier sur les Tiers-paysages (les paysages délaissés), entrait parfaitement en résonance avec ces questions. Collision ? Hybridation ? Ce qui est certain c’est que ces deux univers, ces deux manières d’être sur scène : Morgane Lory en conférencière, en adresse directe, rationnelle et posée, et Nadège Sellier comme derrière un mur invisible, isolée, délaissée, son propos uniquement transmis en voix enregistrée tandis que son corps se livre à des expériences sensorielles : courir partout, construire avec des ciseaux ou du papier…, sont comme autant de portes d’entrée offertes au public, qui laissent au spectateur le choix et la liberté de combler les trous, les vides qu’induisent une forme volontairement fragile et incomplète. Ici, s’il y a hybridation, c’est par le tiers du spectateur qu’elle passe, un peu comme la nature qui viendrait unifier des ruines.
Car, ne l’oublions pas, cette forme fragile n’est qu’une première étape! Certains ont pu regretter, du coup, qu’il y ait encore trop de libertés pour pouvoir y lire un propos et des choix clairs, ou regretter cette esthétique du chaos, de la ruine, que l’on retrouve dans beaucoup de spectacles contemporains, et qui reflète bien encore notre mythe de la décadence européenne. Sauf qu’ici, le vide est un espace à compléter plutôt que détruit, tourné vers l’avenir plutôt que vers le passé. Les temps changent, on dirait, dans la création, et on commence à envisager à nouveau la possibilité d’une construction.
Et si cela pose question à certains acteurs du théâtre que la rencontre se fasse par le tiers du spectateur, qui fait sa cuisine avec toutes les informations envoyées, et pas sur le plateau entre les deux interprètes, cela permet d’ouvrir une réflexion renouvelée sur la place du théâtre dans nos vies. Comme si on avait encore besoin de confronter deux identités fortes et inaltérables, comme s’il était encore inimaginable de se laisser directement altérer par l’autre. Et effectivement, combien de spectacles voit-on fonctionner sur la coïncidence, la juxtaposition, dans le refus en quelque sorte d’un mixage où on ne saurait plus qui apporte quoi ? Ou bien le véritable sujet de cette forme, ce ne sont pas les projections des deux créatrices, mais celles des spectateurs.
Car la plupart ont bien ressenti la fonction réparatrice du spectacle, explicitement avouée dans la citation finale d’Heidegger, qui invite à s’interroger sur la mystérieuse intelligence de nos corps. Le théâtre, c’est avant tout des corps qui s’exposent, en chair et en os, aux regards de tous. Et rien que cela, suffit déjà à réparer quelque chose.
… Le spectacle commençait dehors dans la cour séparé en deux groupes, le public était invité à observer le réel, à prendre acte de ce qu’il y avait autour de lui, avant de rejoindre la salle. Puis, Nadège Sellier a refermé la porte derrière elle et enlevé son manteau : le théâtre est alors devenu un chez soi, un lieu intimiste comme La Loge le permet, où il fait bon se rassembler pour parler. Et à la fin du spectacle, il faisait encore bon y rester pour discuter dans le cadre de ces rencontres…
La joyeuse équipe des Rencontres Transversales
Tiers-Couilles – Où il sera question de celles qui nous les brisent, aux marges des villes, peut-être Nadège Sellier & Morgane Lory, étape de travail présentée à La Loge du 18 au 20 novembre 2015 (Paris)
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